La clé de l'atelier

Jean Verhas, Le maître peintre, 1877.
Musée des Beaux Arts de Gand
UNE LECTURE
C'est un tout petit garçon. 2 ou 3 ans peut-être.
Il est au centre du tableau.
Il est aussi le centre de l'attention des autres enfants qui l'entourent.
Il est assis sur une chaise bien trop grande pour lui : l'accoudoir est à la hauteur de ses épaules! On imagine des livres ou un coussin glissé sous ses fesses pour le hisser à la hauteur de la table.
Il se penche, absorbé par ce qu'il est en train de faire. Et par ce qu'il est en train de découvrir. La couleur bleue qui passe des poils de son pinceau à la feuille de papier.
Un joli trait, presque droit, apparait...
C'est merveilleux!
Il a l'air si concentré, si appliqué, si sûr de lui. Ses petits doigts serrant le pinceau pour donner de la précision à son geste.
Un geste naturel, instinctif, comme si la petite main savait toute seule ce qu'elle doit faire.
Le geste créateur qui est en chacun de nous depuis la plus tendre enfance.
A quoi pense-t-il à cet instant? Que ressent-il?
Sa concentration nous dit quelque chose du plaisir qu'il éprouve à peindre.
D'ailleurs, il n'en est pas à son premier coup d'essai... Une feuille barbouillée de couleurs nous dit qu'il a déjà expérimenté la peinture. Et que ça lui a donné envie de recommencer...
Pour éviter les tâches, on lui a mis un bavoir autour du cou. Surement un adulte inquiet! Pourtant, pas de carnage multicolore ! Le bavoir est resté presque immaculé. A peine quelques petites touches bleues...
Sur la grande table de bois précieux bien cirée, des jouets d'enfants éparpillés.
Des jeux de construction en bois, des dominos...
Ils nous rappellent que peindre est aussi un jeu.
Et que comme les autres jeux, cela nous procure du plaisir.
On l'oublie si souvent! On pense que la peinture, c'est du sérieux!
C'est vrai que tout est sérieux autour de lui, et plutôt sombre. Mais chaleureux tout de même... On n'est pas dans une chambre d'enfant aux couleurs pastel, mais dans un univers d'adultes assez précieux.
Et si les grandes personnes se laissaient aussi aller à peindre comme des enfants de temps en temps? Cela pourrait leur faire du bien!
D'ailleurs, si l'auteur du tableau l'a intitulé "La maître peintre", c'est sans doute avec un peu d'humour, mais peut-être pas seulement... On pense alors à Picasso, pour qui "Dans chaque enfant il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester artiste en grandissant"...
Autour de lui, d'autres enfants, plus grands. Des frères et soeurs ou des cousins peut-être... Tous observent attentivement ce moment merveilleux. Ils sont déjà passé par là! Ils savent combien cela est bon... Ils ont connu cette joie, la fierté, l'émerveillement... Ils guettent, attendris, la réaction du petit peintre. Leur présence est attentive et bienveillante, toute entière tournée vers le petit artiste. Ils l'encouragent du regard.
Les enfants du tableaux ne se parlent pas, et pourtant ils partagent quelque chose : un moment de joie simple et de complicité.
Car, en plus de nous faire du bien, créer nous relie aux autres.